• 011 - Paul Demeny (1844-1918) - Le Vase D'Agate

    C'était dans un bosquet de myrte et de lilas
    Où se glissait à peine un rayon de lumière :
    J'y pénétrai craintif comme en un sanctuaire,
    Je retins mon haleine et j'arrêtai mes pas.
    Sur un vert piédestal orné de laurier-rose,
    Je vis soudain briller une admirable chose :
    Un vase frissonnant encor sous le ciseau
    Qui l'avait fait sortirde l'agate aussi beau.
    Quelle lucidité transparente et limpide !
    On eût dit l'onde claire où parfois, l'aile humide,
    La colombe vient boire et mirer son cou blanc.
    Et quels sons prolongés il rendait en tremblant,
    Lorsqu'un zéphyr léger passait sous la feuillée :
    Quel timbre ravissant et queis accents divins !
    L'anse en était fort simple et fort peu travaillée ;
    Puis elle se recourbait en forme de lutins
    Souriant doucement, riant de se voir rire.
    Mais le vase était vide; et qu'eût-on pu verser
    Dans des flancs aussi purs, si ce n'est de la myrrhe ?
    Je n'osais le toucher, et je n'osais penser
    A souiller la beauté d'une telle merveille.
    Non, j'aur ais cru commettre un sacrilége affreux
    Si j'avais répandu dans sa forme vermeille
    Quelque liquide impur ou quelque flot fangeux.
     
    Tu sais ce que j'ai fait j'y versai l'ambroisie.
    J'en ni timidement imprégné ton beau coeur,
    Stella, vase sans tache, éclatant de blancheur,
    C'est bien là toute ma vie : amour et poésie !
     
    Extrait du recueil "Les Glaneuses" 1870


    votre commentaire
  • 006 - Théophile Gautier (1811-1872 - FRANCE) - L'Horloge

    007 - Alexandre Weill (1811-1899 - FRANCE) - Un Peuple Athée

    008 - Ernest Ameline (1825-1893 - FRANCE) - Le charmant journal

    009 - Auguste Barbier (1805-1882 - FRANCE) - Papa Bentham

    010 - Laurent Tailhade (1854-1919 - FRANCE) - Psaume D'Amour

     


    votre commentaire
  • 010 - Laurent Tailhade (1854-1919) - Psaume D'Amour
     
    Puisque j'ai rêvé de t'aimer ainsi qu'une madone
    Qui, très pure, aux baisers mystiques s'abandonne,
    Lorsque, songeant aux lis merveilleux de Sarons
    Les novices en pleurs sentent pâlir leurs fronts
    Et leurs genoux fléchir sur tes dalles de pierre.
    Les encensoirs mourants jettent dans la lumière
    Une profonde odeur de prière et aussi d'espoir.
    Le maitre-autel rayonne et le grand ostensoir,
    Au milieu des flambeaux, des fleurs et des cantiques,
    Sur les diacres chapés d'épaisses dalmatiques,
    Sur le prêtre éperdu dans sa chasuble d'or,
    Semble un soleil couchant qui sous les flots s'endort.
    L'orgue, rouvrant le vol des vieux antiphonaires,
    Mêle aux voix des enfants de choeur ses fiers tonnerres
    Et sur quelque air d'Hobrecht ou de Palestrina,
    Chante dévotement des motets et le Salve regina.

    J'ai rêvé de t'aimer à genoux, les mains jointes,
    De bien loin, sans vouloir effleurer les pointes
    De tes souliers posés sur le croissant doré,
    Heureux si, quelquefois, quand je t'invoquerai,
    Te saluant de noms d'amour en pleines litanies,
    Tu détournes vers moi tes paupières bénies !
    La nuit tombée, de ton autel j'userai le pavé,
    Et mes lèvres en feu, sans compter les avé,
    Rediront, malgré l'ombre et la voix des horloges,
    Les versets que pour toi gardent les cucologes,
    Les hymnes où ton nom ardemment exalté
    Resplendit dans sa grâce et dans sa pureté.

    Je vivrai sous tes yeux tel qu'un moine fidèle
    Oublié de la foule et m'enivrant loin d'elle
    Des clartés de ta robe et des lis de ton sein.
    Puis, pour que tu sois belle et que nul autre saint
    Ne reluise d'autant de splendeur et de gloire,
    J'ordonnerai les plis de ton manteau de moire,
    Jusqu'au jour où, prenant pitié, tu daigneras
    Sourire doucement et me tendre les bras,
    Où, dans la nef sonore aux senteurs vagabondes,
    Tu pencheras vers moi tes lourdes tresses blondes,
    Ton front nimbé d'azur comme un matin d'été,
    Frêle et pâle et portant le pain de ta virginité
    Dans le ciboire d'or de ton charme suprême.
    Le nard nous donnera ses effluves. Le chrême
    Se pâmera d'amour dans les boites d'argent,
    Et quand l'aube luira sur le vitrail changeant,
    Semant les sombres murs de fleurs incendiée
    Par les portes du ciel, blanches, irradiées,
    A travers les frissons du soleil matinal
    S'ouvrira lentement ton essor virginal,
    Et tu fuiras pareille à ces saintes discrètes
    Qui visitaient jadis les bons anachorètes.

    Extrait du recueil "Le Jardin Des Rêves" 1880


    votre commentaire
  • 009 - Auguste Barbier (1805-1882) - Papa Bentham

    Le beau n'est rien pour lui qu'une folle chimère,
    Un être jugé sans raison et qui n'existe pas.
    Cet astre peut briller sur la nature entière,
    Myope, ses deux yeux n'en voient point les éclats.
    Le bien même, s'il n'a pour but la jouissance
    Prompte, matérielle et toute en l'existence
    D'ici-bas, à son coeur parle un langage vain.
    Il ne croit pas auxjours d'un avenir divin,
    Aux jours réparateurs des maux de l'innocence
    Et laisse aux idiots cet espoir surhumain.
    Manger, boire, dormir etpropager l'espèce,
    Et cela de son mieux, est toute la sagesse ;
    Il n'en connaît point d'autre ; et l'esprit le meilleur
    Est celui qui le plus travaille à ce bonheur.
    Aussi tient-il en haute et grande révérence
    L'homme du positif, l'homme de la science,
    Assuré que son art est le seul vrai moyen
    De combattre le mal et le réduire à rien.
    A cette fière idée il a voué entièrement sa vie,
    Et sa cervelle en est si follement remplie
    Que, le pied dans la tombe, à son dernier moment,
    Il voudra par ces mots clore son testament :
    « Amis, lorsque mon corps sera froid comme pierre,
    Je ne veux pas qu'il soit cloué dans une bière,
    Et que le grand travail de sa déconfiture
    Se fasse obscurément au sein de la nature,
    Comme le veut l'Église et son dogme hébété ;
    Je veux jusqu'en la mort servir l'humanité.
    Il faut que le couteau me fende les entrailles,
    Qu'une main d'homme y fouille dans les entailles
    Du haut jusques en bas on voie a nu mes os,
    Mes viscères bleuis, mes nerfs et mes boyaux,
    Que mon coeur palpitant soit ouvert, que ma veine
    Exhale encore chaud le sang dont elle est pleine,
    Enfin que tout mon corps, découpé par morceau,
    Au grand jour étalé sur le cuir d'un bureau,
    Repaisse les regards et que dans une école
    Il soit pour vingt docteurs un sujet de parole. »

    Extrait du recueil "Les Masques" 1873


    votre commentaire
  • 008 - Ernest Ameline (1825-1893) - Le Charmant Journal

    Que vous a-t-il donc fait pour en dire du mal,
    Ce joyeux Figaro ? C'est un charmant journal ;
    Chacun, avec bonheur, en fait sauter la bande,
    Car souvent il annonce un joli dividende,
    Une prime qui n'est pas certe à dédaigner ; 
    De plus, pour vous séduire et pour vous empoigner
    Il vous a de ces traits sans couleur politique,
    Où sous chaque mot perce un rire sardonique.
    Fait-il à votre bourse un généreux appel
    Dans un malheur public ? Sa parole est de miel ;
    Il répand devant vous tout son coeur dans sa verve,
    Et vous sert tout l'esprit qu'il a mis en réserve.
    Détracteur du prochain ! dit-on : plaisir permis !
    Ce péché si mignon, qui ne l'a pas commis ?
    Moi-même, trop souvent, je lui tiens lieu de cible !
    Mais je hausse l'épaule et dis : Enfant terrible !
    Puis je tourne la page, et sur un mot, un rien,
    Qui me vont droit à l'âme (il raconte si bien !),
    Je l'absous de grand coeur au lieu de le maudire.
    Quand je l'ai terminé, bien souvent je soupire ;
    Ma voix tremble et s'altère au moment de parler,
    Et je sens à mes cils une larme qui commence à perler,
    Car ce vrai sacripant, ce prôneur de scandale,
    Comme vous le nommez, prêche aussi la morale.
    La preuve ? Ecoutez-moi : parmi ses faits divers
    Il suffira d'un trait. En passant par mes vers
    Il perdra de son sel, mais, après tout, qu'importe !
    Le bien, le beau, pour vous, ne sont pas lettre morte.

    Extrait du recueil "Fleurs Aimées" 1878


    votre commentaire
  • 007 - Alexandre Weill (1811-1899) - Un Peuple Athée

    Eh bien, non ! Je suis vieux, mais je ne puis me taire.
    Dussent tous les démons du ciel et de la terre
    Former un cercle autour de mon chancelant corps,
    Excitant contre moi les vivants et les morts,
    Pour me faire exiler, expulser de ce monde,
    Je n'en crîrais pas moins : Fils d'une race immonde,
    N'ayant rien du lion, ni de l'aigle au haut vol,
    Attachés à la chair, comme un manant au sol,
    Hommes, vous n'êtes plus que des bipèdes mâles !
    Étalons bien entraînés pour saillir des cavales !
    Grands parleurs ! Vous avez, avec des airs bénins,
    Des ventres de géants et des cerveaux de nains !
    Et vous êtes les fruits d'une impure semence,
    Pleins de vin de vertige et de chair de démence !

    Vous vous croyez de forts hommes ; en niant Dieu,
    Vous avez l'air de dire : Où perche-t-il, ce feu !
    Moteur de l'univers, vengeur de toute offense,
    Comblant de biens tous ceux qui prennent sa défense,
    Et qui, sur le méchant, du haut du firmament,
    Fond comme un coup de foudre et le broie en ciment ?

    Mais l'athée est déjà puni pour être athée !
    Il louche du cerveau. C'est une ârne ratée !
    Il est aveugle-né, ne voyant pas le ciel,
    Et le brillant soleil, son astre essentiel.
    Et s'il n'en sentait pas la chaleur coutumière,
    Il dirait qu'il fait nuit et nirait la lumière.
    Il crèverait les yeux, s'il pouvait, à tous ceux
    Qui se baignent la vue au feu clair et mousseux
    De cet astre divin, qui nous charme la vie.
    Et qui fait de l'aveugle un être plein d'envie.

    La justice de Dieu remonte bien plus haut.
    Dès sa naissance, un homme a déjà ce qu'il faut,
    Ou comme châtiment, ou comme récompense,
    Selon ses actions, ou selon ce qu'il pense !
    L'athéisme est l'effet et non la cause. Il est
    Lui-même un châtiment, de l'enfer un reflet.
    L'athée est incapable, il est presque un infirme ;
    Il nie, il démolit. Il n'agit, ni n'affirme.
    Il vit toujours en rêve, et sans se réveiller.
    Rien par enthousiasme, ou pour s'émerveiller.
    Nul athée ouvrier n'a jamais fait une oeuvre !
    Ni ne sera jamais qu'un habile manoeuvre.
    Un peuple athée agit comme un peuple d'enfants.
    Bien moins intelligent qu'un troupeau d'éléphants,
    Il crie, il chante, il rit, il jure et se démène ;
    Il est gai, sage même, au moins une semaine ;
    Puis soudain, sans raison, il fait un bond, un heurt.
    Et crac ! De chute en chute il dégringole et meurt.

    Extrait du recueil " Eclairs Tonnerres Et Ondées" 1886


    votre commentaire
  • 006 - Théophile Gautier (1811-1872) - L'Horloge

    La voiture fit halte à l'église d'Urrugne,
    Nom rauque, dont le son à la rime répugne,
    Mais qui n'en est pas moins un village charmant,
    Sur un sol montueux perché bizarrement.
    C'est un bâtiment pauvre, en grosses pierres grises
    Sans archanges sculptés, sans nervures ni frises,
    Qui n'a pour ornement que le fer de sa croix,
    Une horloge rustique et son cadran de bois,
    Dont les chiffres romains, épongés par la pluie,
    Ont coulé sur le fond que nul pinceau n'essuie.
    Mais sur l'humble cadran regardé par hasard,
    Comme les mots de flamme aux murs de Balthazar,
    Comme l'inscription de la porte maudite,
    En caractères noirs une phrase est écrite ;
    Quatre mots solennels, quatre mots de latin,
    Où tout homme en passant peut lire son destin :
    « Chaque heure fait sa plaie et la dernière achève ! »

    Oui, c'est bien vrai, la vie est un combat sans trêve,
    Un combat inégal contre un lutteur caché,
    Qui d'aucun de nos coups ne peut-être touché ;
    Et dans nos coeurs criblés, comme dans une cible,
    Tremblent les traits lancés par l'archer invisible.
    Nous sommes condamnés, nous devons tous périr ;
    Naitre, c'est seulement commencer à mourir,
    Et l'enfant, hier encor chérubin chez les anges,
    J'ar le ver du linceul est piqué sous ses langes.
    Le disque de l'horloge est le champ du combat,
    Où la Mort de sa faux par milliers nous abat ;
    La Mort, rude jouteur qui suffit pour défendre
    L'éternité de Dieu, qu'on voudrait bien lui prendre.
    Sur le grand cheval pâle, entrevu par saint Jean,
    Les Heures, sans repos, parcourent le cadran ;
    Comme ces inconnus des chants du moyen âge,
    Leurs casques sont fermés sur leur sombre visage,
    Et leurs armes d'acier deviennent tour à tour
    Noires comme la nuit, blanches comme le jour.
    Chaque soeur à l'appel de la cloche s'élance,
    Prend aussitôt l'aiguille ouvrée en fer de lance,
    Et toutes, sans pitié, nous piquent en passant,
    Pour nous tirer du coeur une perle de sang,
    Jusqu'au jour d'épouvante où parait la dernière
    Avec le sablier et la noire bannière ;
    Celle qu'on n'attend pas, celle qui vient toujours,
    Et qui se met en marche au premier de nos jours !
    Elle va droit à vous, et, d'une main trop sûre,
    Vous porte dans le flanc la suprême blessure,
    Et remonte à cheval, après avoir jeté
    Le cadavre au néant, l'àme à l'éternité !

    Extrait du recueil "Espana" 1845


    votre commentaire
  • 001 - Ulric Guttinguer (1787-1866 - FRANCE) - Les Cierges Et L'éteignoir

    002 - Paul Verlaine (1844-1896 - FRANCE) - Dans Les Limbes

    003 - Robert Caze (1853-1886 - FRANCE) - Ritournelles

    004 - Théodore Hannon (1851-1916 - BELGIQUE) - Les Mouettes

    005 - Emile Nelligan (1879-1941 - QUEBEC) - La Romance Du Vin

     


    votre commentaire
  • 005 - Emile Nelligan - La Romance Du Vin

     Tout se mêle en un vif éclat de gaieté verte
    O le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en choeur,
    Ainsi que les espoirs naguère à mon coeur,
    Modulent leur prélude à ma croisée ouverte.

    O le beau soir de mai ! le joyeux soir de mai !
    Un orgue au loin éclate en froides mélopées;
    Et les rayons, ainsi que de pourpres épées,
    Percent le coeur du jour qui se meurt parfumé.

    Je suis gai! je suis gai ! Dans le cristal qui chante,
    Verse, verse le vin ! verse encore et toujours,
    Que je puisse oublier la tristesse des jours,
    Dans le dédain que j'ai de la foule méchante !

    Je suis gai ! je suis gai ! Vive le vin et l'Art !...
    J'ai le rêve de faire aussi des vers célèbres,
    Des vers qui gémiront les musiques funèbres
    Des vents d'automne passant dans le brouillard.

     C'est le règne du rire amer et de la rage
    De se savoir poète et objet du mépris,
    De se savoir un coeur et de n'être compris
    Que par le clair de lune et les soirs d'orage !

     Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin
    Ou l'Idéal m'appelle en ouvrant ses bras roses;
    Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses
    Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main !

     Pendant que tout l'azur s'étoile dans la gloire,
    Et qu'un rythme s'entonne au renouveau doré,
    Sur le jour expirant je n'ai donc pas pleuré,
    Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire !

     Je suis gai ! je suis gai ! Vive le soir de mai !
    Je suis follement gai, sans être pourtant ivre !...
    Serait-ce que je suis enfin heureux de vivre ;
    Enfin mon coeur est-il guéri d'avoir aimé ?

     Les cloches ont chanté; le vent du soir odore...
    Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots,
    Je suis gai, si gai, dans mon rire sonore,
    Oh ! si gai, que j'ai peur d'éclater en sanglots !

    Extrait du recueil "Tristia" 1899 - Québécois


    votre commentaire
  • 004 - Théodore Hannon - Les Mouettes

    Les mouettes aux ailes grises
    Tourbillonnent sur les flots bleus
    Et, plus légères que les brises,
    Déroulent leur vol onduleux,
    Les mouettes aux ailes grises.

    Je voudrais choisir l'une d'elles,
    Confidente de mes aveux,
    Pour l'envoyer à tire-d'ailes
    Au loin porter mes tendres voeux
    Je voudrais choisir l'une d'elles

    Je lui dirais : va près de celle
    Dont les yeux aux flammes d'acier
    Ont dans mon coeur, d'une étincelle,
    Allumé l'éternel brasier.
    Je lui dirais : va près de celle,

    Près de celle qui tient ma vie
    Dans un sourire, dans un pleur,
    Montre-lui ma force asservie
    Agonisant dans la douleur
    Loin de celle qui tient ma vie.

    O blanche messagère ailée,
    Dis-lui ma peine et mon ennui,
    Dis-lui que mon âme esseulée
    Referme son aile en la nuit,
    O blanche messagère ailée,

    En la nuit morne de l'absence
    Où, sevré du charme vainqueur
    De sa chère toute puissance,
    Languit et trépasse mon coeur
    En la nuit morne de l'absence.

    Extrait du recueil "Au Clair De La Dune" 1909 - Belge


    votre commentaire
  • 003 - Robert Craze - Ritournelles
     
    0 porte du jardin grise sur le mur blanc,
    Tu parais protéger quelque amour violent.
    Tu fermes le grand parc où les plantes rustiques
    Etant libres ont pris mille aspects fantastiques.
    Quelque rêveur fécond pourrait nous raconter
    Qu'on voit, quand vient minuit, les esprits te hanter
    Et qu'on entend les morts qui font sonner des chaînes.
    Pendant que le vent siffle et souffle dans les chênes.
    Mais, moi, je ne crois plus à ces contes d'aïeux,
    Mon siècle ne veut point de récits merveilleux.
    0 porte du jardin, quand ta serrure grince
    Et qu'on t'ouvre, je vois un couple de province
    Déjà vieux, qui s'en va par des sentiers voisins
    Parler du mauvais temps à ses petits cousins.
    Les plumes du chapeau, les ramages du châle
    Font paraître la femme et plus maigre et plus pâle,
    Et son époux, un gros rougeaud vêtu de neuf,
    Se mire dans l'éclat de son habit d'Elbeuf.
     
    - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
     
    Le dernier souvenir qu'il avait gardé d'elle,
    Etait un ruban mauve entouré de dentelle.
    Elle en ornait son col de cygne dans les jours
    Où chantait dans leurs coeurs l'hymne des bons amours
    Quand elle abandonna le foyer de l'artiste,
    Ayant fait de ce fort un être faible et triste,
    Il pleura bien longtemps, maudit trois fois les cieux
    Et voulut s'abîmer dans le chagrin. Ses yeux
    Rencontrèrent pourtant oublié dans la chambre
    Le ruban imprégné d'une fine odeur d'ambre.
    Pensif, il ramassa cet humble et pauvre objet
    Et l'enferma, parmi des fleurs dans un coffret,
    Oeuvre d'un ciseleur qui naquit à Florence.
    Aussi, pendant les jours mauvais, quand l'espérance
    Fuyait, lorsque le ciel se faisait gris ou noir,
    Le peintre se penchait sur le coffret pour voir
    Le petit ruban mauve entouré de dentelle,
    Qui gardait le parfum de la femme infidéle.
     
    Extraits du recueil "Ritournelles" 1879

    votre commentaire
  • Paul Verlaine - Dans Les Limbes
     
    O tes manières de venir ! J’y mets du mien
    Aussi, mais toi, que c’est gentil quand c’est du tien !
    Oui, tes manières de t’y prendre pour venir
    Me voir et m’étonner à ne plus en finir.
    C’est tous les jours et du charmant et du nouveau.
    Sans cesse en équilibre et jamais de niveau.
    Hier je te voyais, derrière mon palier,
    Descendre vivement le premier escalier
    Pour remonter le mien de ton pas net et preste
    M’apercevant alors, quel prompt, quel joli geste
    De sembler retourner, pour ne faire que mieux
    Et mon plaisir et mon bonheur de pauvre vieux
    Encore vert en me sautant si fort, exprès,
    Au cou, que j’en palpite très longtemps après
    D’un tel bonheur, et, sarpejeu ! de quel plaisir !
     
    Aujourd’hui, comme tu tardais, moi de saisir
    Ma plume, et la laissant débridée, et tournant
    Le dos à la porte d’entrée, ô l’étonnant
    Aspect, de travailler pupitrant mon lit même,
    Encre, buvard, papier tout à quelque poème,
    Quand soudain je sens un baiser comme un acier
    Que, traîtresse, en mon cou tu plonges tout entier ;
    Et moi, je te le rends sur le cou par devant
    Au lieu de par derrière ainsi qu’auparavant.
    Question de position, — gosse, gamin —
    Demain ce sera mieux encore, après demain
    Mieux encor. O petits, bonheurs de mon malheur !
    C’est peut-être après tout ce qu’il est de meilleur,
    Et j’oublie en ces jeux la volupté brutale,
    Bonne certes, mais moins, qui sait ? que l’idéale.
     
     - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
     
    Le lieu des adieux (pas éternels), — la saison
    Dernière était au coin de la basse maison
    Tout rouge — la tuile et la brique y fourmillent
    (Vis-à-vis le gazon bordé de camomille)
    Qui sert de local à des services divers.
    Là l’heure ayant sonné de son timbre pervers,
    Nous enjoignant de nous séparer tout de suite,
    Hélas ! avant qu’hélas ! tu ne prennes la fuite,
    Je t’embrassais si fort que toi tu ne pouvais
    T’empêcher de rire aux éclats, et ne savais
    Pour lors me refuser un baiser sur la bouche,
    Un gros, frais, long baiser partagé, puis, farouche
    Pour la forme — c’était presque en public, des yeux
    Pouvaient nous voir, en malins, ou pics, officieux,
    Des langues bavardes, et quel scandale ! et leste,
    Cruellement, tu me quittais, instant céleste
    Et diabolique, avec ces mots : « Je ne viens plus. »
    Car, sachant bien que tu viendrais, irrésolus
    Toutefois, mes désirs fous tantôt ivres d’ire
    Et de larmes, tantôt pleins d’espoir à ton dire,
    Se souvenant de la chère intonation
    Et de la gentiment taquine intention,
    Me balançaient dans une fausse inquiétude,
    Jusqu’au lendemain, tendre amie au verbe rude.
     
    Extraits du recueil "Dans Les Limbes" 1894


    votre commentaire
  • Ulric Guttinguer - Les Cierges Et L'éteignoir

    Au milieu de l'encens, des chants et des prières,
    Dans un jour solennel des chrétiens révéré,
    Des cierges inondaient de leurs vives lumières
    Le temple au Seigneur consacré,
    Cependant qu'en un coin de la demeure saimte,
    Un petit éteignoir au bout d'un long bâton,
    Semblait, étranger dans l'enceinte,
    Sans aucun but assister au sermon.
    Un cierge de la veille avait sur lui des craintes.
    ( Cierge d'expérience et qui brûlait pour Dieu. )
    « Je le connais, dit-il; croyez-moi, dans ce lieu,
    » Naguère j'ai senti ses perfides étreintes;
    » Vous m'en voyez encor tout noir, tout chancelant;
    » Si j'en suis revenu, je ne sais trop comment;
    » Mais qu'à son capuchon désormais je me fie,
    » A d'autres, je sais trop le destin qui m'attend !
    » Ciel juste ! aurais-je donc miraculeusement
    » Revu, goûté deuxfois la lumière et la vie,
    » Pour retourner, éteint, mourir obscurément
    » Dans le fond d'une sacristie. »
    Mais tous les cierges triomphans :
    « Quoi ! cette perche à tête noire
    » Aurait des effets si puissans!
    » Mon frère, une pareille histoire
    » Est bonne à dire à des enfans. »

    Voilà que cependant le service s'achève,
    Que tout se tait, l'orgue, les chants, les voix,
    Et que l'obscur morceau de bois,
    Orné de son armet, se redresse, s'élève,
    Et de la vaste nef parcourant le contour,
    Sur chacun tombe tour à tour.
    Rendons-lui bien justice, il n'oublia personne.
    Le vieux cierge pourtant de lui-même expirait :
    « La leçon n'est-elle pas bonne ?
    » Disait-il au dernier que le bedeau coiffait;
    » Brillantes et saintes lumières,
    » Les éteignoirs ne vous effrayaient guères,
    » Et maintenant vous pensez, comme nous,
    » Qu'il n'en faut qu'un pour nous éteindre tous. »

    Extrait du recueil "Charles VII à Jumiège et autres poésies" 1827


    votre commentaire