• 056 - Ernest D'Hervilly (1838-1911) - Epitaphe

    056 - Ernest D'Hervilly (1838-1911) - Epitaphe

    Elle avait dix-sept ans. C'était un très doux être,
    Ignorant, et frileux, et bon comme le pain :
    Moineau d'amour entré chez moi par la fenêtre ;
    Car j'étais son amant, ou plutôt son copain.

    Souvent je la grondais tout à fait comme un père :
    Quelle douleur aussi, vive, mais éphémère !

    Couir en plein soleil, les dimanches, l'été,
    Et voler dans les champs une mauvaise grappe
    De raisin bleu, c'était pour elle le Léthé !

    Son petit doigt fin, rugueux comme une râpe,
    En oubliait alors l'aiguille au bec aigu !

    Pleurer était sa joie extrême à l'Ambigu !
    C'était à Billancourt qu'elle aimait la nature,
    Et Puteaux la charmait. On lisait dans ses yeux
    Ces mots, qu'elle trouva toujours délicieux :
    Balançoires, bosquets, lapin sauté, friture !

    Ah ! Tenez, je la vois encore dans les bois.
    A mon bras suspendue, et caressant mes doigts ;
    Avec sa grâce brusque, et ces fuites soudaines
    Qu'ont sous les coudriers les merles et les daines.

    Un soir que le vent d'Est retroussait les osiers
    Sur les bords de la Marne, elle prit froid, et, pâle,
    Me pria de nouer derrière elle son châle.

    Elle est morte â présent, et dort sous deux rosiers.
    Cette blessure est vieille, et pourtant quand j'y touche,
    Un sanglot doux m'étouffe, et me rend anxieux.

    Nid de baisers, de cris et de rires joyeux,
    Nid vide et froid, hélas, pauvre petite bouche !

    Extrait du recueil "Les Baisers" 1872


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :