• 010 - Laurent Tailhade (1854-1919) - Psaume D'Amour

    010 - Laurent Tailhade (1854-1919) - Psaume D'Amour
     
    Puisque j'ai rêvé de t'aimer ainsi qu'une madone
    Qui, très pure, aux baisers mystiques s'abandonne,
    Lorsque, songeant aux lis merveilleux de Sarons
    Les novices en pleurs sentent pâlir leurs fronts
    Et leurs genoux fléchir sur tes dalles de pierre.
    Les encensoirs mourants jettent dans la lumière
    Une profonde odeur de prière et aussi d'espoir.
    Le maitre-autel rayonne et le grand ostensoir,
    Au milieu des flambeaux, des fleurs et des cantiques,
    Sur les diacres chapés d'épaisses dalmatiques,
    Sur le prêtre éperdu dans sa chasuble d'or,
    Semble un soleil couchant qui sous les flots s'endort.
    L'orgue, rouvrant le vol des vieux antiphonaires,
    Mêle aux voix des enfants de choeur ses fiers tonnerres
    Et sur quelque air d'Hobrecht ou de Palestrina,
    Chante dévotement des motets et le Salve regina.

    J'ai rêvé de t'aimer à genoux, les mains jointes,
    De bien loin, sans vouloir effleurer les pointes
    De tes souliers posés sur le croissant doré,
    Heureux si, quelquefois, quand je t'invoquerai,
    Te saluant de noms d'amour en pleines litanies,
    Tu détournes vers moi tes paupières bénies !
    La nuit tombée, de ton autel j'userai le pavé,
    Et mes lèvres en feu, sans compter les avé,
    Rediront, malgré l'ombre et la voix des horloges,
    Les versets que pour toi gardent les cucologes,
    Les hymnes où ton nom ardemment exalté
    Resplendit dans sa grâce et dans sa pureté.

    Je vivrai sous tes yeux tel qu'un moine fidèle
    Oublié de la foule et m'enivrant loin d'elle
    Des clartés de ta robe et des lis de ton sein.
    Puis, pour que tu sois belle et que nul autre saint
    Ne reluise d'autant de splendeur et de gloire,
    J'ordonnerai les plis de ton manteau de moire,
    Jusqu'au jour où, prenant pitié, tu daigneras
    Sourire doucement et me tendre les bras,
    Où, dans la nef sonore aux senteurs vagabondes,
    Tu pencheras vers moi tes lourdes tresses blondes,
    Ton front nimbé d'azur comme un matin d'été,
    Frêle et pâle et portant le pain de ta virginité
    Dans le ciboire d'or de ton charme suprême.
    Le nard nous donnera ses effluves. Le chrême
    Se pâmera d'amour dans les boites d'argent,
    Et quand l'aube luira sur le vitrail changeant,
    Semant les sombres murs de fleurs incendiée
    Par les portes du ciel, blanches, irradiées,
    A travers les frissons du soleil matinal
    S'ouvrira lentement ton essor virginal,
    Et tu fuiras pareille à ces saintes discrètes
    Qui visitaient jadis les bons anachorètes.

    Extrait du recueil "Le Jardin Des Rêves" 1880


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