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003 - Robert Craze - Ritournelles
0 porte du jardin grise sur le mur blanc,
Tu parais protéger quelque amour violent.
Tu fermes le grand parc où les plantes rustiques
Etant libres ont pris mille aspects fantastiques.
Quelque rêveur fécond pourrait nous raconter
Qu'on voit, quand vient minuit, les esprits te hanter
Et qu'on entend les morts qui font sonner des chaînes.
Pendant que le vent siffle et souffle dans les chênes.
Mais, moi, je ne crois plus à ces contes d'aïeux,
Mon siècle ne veut point de récits merveilleux.
0 porte du jardin, quand ta serrure grince
Et qu'on t'ouvre, je vois un couple de province
Déjà vieux, qui s'en va par des sentiers voisins
Parler du mauvais temps à ses petits cousins.
Les plumes du chapeau, les ramages du châle
Font paraître la femme et plus maigre et plus pâle,
Et son époux, un gros rougeaud vêtu de neuf,
Se mire dans l'éclat de son habit d'Elbeuf.
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Le dernier souvenir qu'il avait gardé d'elle,
Etait un ruban mauve entouré de dentelle.
Elle en ornait son col de cygne dans les jours
Où chantait dans leurs coeurs l'hymne des bons amours
Quand elle abandonna le foyer de l'artiste,
Ayant fait de ce fort un être faible et triste,
Il pleura bien longtemps, maudit trois fois les cieux
Et voulut s'abîmer dans le chagrin. Ses yeux
Rencontrèrent pourtant oublié dans la chambre
Le ruban imprégné d'une fine odeur d'ambre.
Pensif, il ramassa cet humble et pauvre objet
Et l'enferma, parmi des fleurs dans un coffret,
Oeuvre d'un ciseleur qui naquit à Florence.
Aussi, pendant les jours mauvais, quand l'espérance
Fuyait, lorsque le ciel se faisait gris ou noir,
Le peintre se penchait sur le coffret pour voir
Le petit ruban mauve entouré de dentelle,
Qui gardait le parfum de la femme infidéle.
Extraits du recueil "Ritournelles" 1879
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Paul Verlaine - Dans Les Limbes
O tes manières de venir ! J’y mets du mien
Aussi, mais toi, que c’est gentil quand c’est du tien !
Oui, tes manières de t’y prendre pour venir
Me voir et m’étonner à ne plus en finir.
C’est tous les jours et du charmant et du nouveau.
Sans cesse en équilibre et jamais de niveau.
Hier je te voyais, derrière mon palier,
Descendre vivement le premier escalier
Pour remonter le mien de ton pas net et preste
M’apercevant alors, quel prompt, quel joli geste
De sembler retourner, pour ne faire que mieux
Et mon plaisir et mon bonheur de pauvre vieux
Encore vert en me sautant si fort, exprès,
Au cou, que j’en palpite très longtemps après
D’un tel bonheur, et, sarpejeu ! de quel plaisir !
Aujourd’hui, comme tu tardais, moi de saisir
Ma plume, et la laissant débridée, et tournant
Le dos à la porte d’entrée, ô l’étonnant
Aspect, de travailler pupitrant mon lit même,
Encre, buvard, papier tout à quelque poème,
Quand soudain je sens un baiser comme un acier
Que, traîtresse, en mon cou tu plonges tout entier ;
Et moi, je te le rends sur le cou par devant
Au lieu de par derrière ainsi qu’auparavant.
Question de position, — gosse, gamin —
Demain ce sera mieux encore, après demain
Mieux encor. O petits, bonheurs de mon malheur !
C’est peut-être après tout ce qu’il est de meilleur,
Et j’oublie en ces jeux la volupté brutale,
Bonne certes, mais moins, qui sait ? que l’idéale.
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Le lieu des adieux (pas éternels), — la saison
Dernière était au coin de la basse maison
Tout rouge — la tuile et la brique y fourmillent
(Vis-à-vis le gazon bordé de camomille)
Qui sert de local à des services divers.
Là l’heure ayant sonné de son timbre pervers,
Nous enjoignant de nous séparer tout de suite,
Hélas ! avant qu’hélas ! tu ne prennes la fuite,
Je t’embrassais si fort que toi tu ne pouvais
T’empêcher de rire aux éclats, et ne savais
Pour lors me refuser un baiser sur la bouche,
Un gros, frais, long baiser partagé, puis, farouche
Pour la forme — c’était presque en public, des yeux
Pouvaient nous voir, en malins, ou pics, officieux,
Des langues bavardes, et quel scandale ! et leste,
Cruellement, tu me quittais, instant céleste
Et diabolique, avec ces mots : « Je ne viens plus. »
Car, sachant bien que tu viendrais, irrésolus
Toutefois, mes désirs fous tantôt ivres d’ire
Et de larmes, tantôt pleins d’espoir à ton dire,
Se souvenant de la chère intonation
Et de la gentiment taquine intention,
Me balançaient dans une fausse inquiétude,
Jusqu’au lendemain, tendre amie au verbe rude.
Extraits du recueil "Dans Les Limbes" 1894
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Ulric Guttinguer - Les Cierges Et L'éteignoir
Au milieu de l'encens, des chants et des prières,
Dans un jour solennel des chrétiens révéré,
Des cierges inondaient de leurs vives lumières
Le temple au Seigneur consacré,
Cependant qu'en un coin de la demeure saimte,
Un petit éteignoir au bout d'un long bâton,
Semblait, étranger dans l'enceinte,
Sans aucun but assister au sermon.
Un cierge de la veille avait sur lui des craintes.
( Cierge d'expérience et qui brûlait pour Dieu. )
« Je le connais, dit-il; croyez-moi, dans ce lieu,
» Naguère j'ai senti ses perfides étreintes;
» Vous m'en voyez encor tout noir, tout chancelant;
» Si j'en suis revenu, je ne sais trop comment;
» Mais qu'à son capuchon désormais je me fie,
» A d'autres, je sais trop le destin qui m'attend !
» Ciel juste ! aurais-je donc miraculeusement
» Revu, goûté deuxfois la lumière et la vie,
» Pour retourner, éteint, mourir obscurément
» Dans le fond d'une sacristie. »
Mais tous les cierges triomphans :
« Quoi ! cette perche à tête noire
» Aurait des effets si puissans!
» Mon frère, une pareille histoire
» Est bonne à dire à des enfans. »Voilà que cependant le service s'achève,
Que tout se tait, l'orgue, les chants, les voix,
Et que l'obscur morceau de bois,
Orné de son armet, se redresse, s'élève,
Et de la vaste nef parcourant le contour,
Sur chacun tombe tour à tour.
Rendons-lui bien justice, il n'oublia personne.
Le vieux cierge pourtant de lui-même expirait :
« La leçon n'est-elle pas bonne ?
» Disait-il au dernier que le bedeau coiffait;
» Brillantes et saintes lumières,
» Les éteignoirs ne vous effrayaient guères,
» Et maintenant vous pensez, comme nous,
» Qu'il n'en faut qu'un pour nous éteindre tous. »Extrait du recueil "Charles VII à Jumiège et autres poésies" 1827
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