• 030 - Emile Verhaeren (1855-1916) - Plus Loin Que Les Gares

    030 - Emile Verhaeren (1855-1916) - Plus Loin Que Les Gares

    L'ombre s'installe, avec une vive brutalité ;
    Mais les derniers ciseaux de la lumière,
    Au long des quais, coupent l'obscurité,
    A coups menus, de réverbère en réverbère.

    La gare immense et ses vitraux larges et droits
    Brillent, comme une châsse, en la nuit sourde,
    Tandis que des voiles de suie et d'ombre lourde
    Choient sur les murs trapus et les hautains beffrois.

    Et c'est le lent défilé des trains funèbres
    Commence, avec leurs bruits de gonds
    Et l'entrechoquement brutal de leurs wagons,
    S'éloignant tels des cercueils vers les ténèbres.

    Des cris ! Et quelquefois de tragiques signaux,
    Par-dessus les adieux et les gestes des foules.
    Puis un départ, puis un arrêt et le train roule
    Et roule avec des bruits de lime et de marteaux.

    La campagne sournoise et la forêt sauvage
    L'absorbent tour à tour en leur nocturne effroi ;
    Et c'est le mont énorme et le tunnel étroit
    Et la mer tout entière, au bout du long voyage.

    Puis à l'aube, apparaissent les bricks clairs
    Avec leur charge d'ambre et de minerai rose
    Et le vol bigarré des pavillons dans l'air
    Et les agrès menus où les aras se posent.

    Et les focs roux et les poupes couleur safran,
    Et les câbles tordus et les quilles barbares,
    Et les sabords lustrés de cuivre et de guitran
    Et les mâts verts et bleus des îles Baléares,

    Et les marins venus on ne sait d'où, là-bas,
    Par au delà des mers de faste et de victoire,
    Avec leurs chants si doux et leurs gestes si las
    Et des dragons sculptés sur leur étrave noire.

    Tout le rêve debout comme une armée attend :
    Et les flots du port, pareils à des guirlandes,
    Se déroulent, au long des vieux bateaux, partent
    Vers quelle ardente et blanche et divine Finlande.

    Et tout s'oublie, et les tunnels er les wagons
    Et les gares de suie et de charbon couvertes
    Devant l'appel fiévreux et fou des horizons
    Et les portes du monde en plein soleil ouvertes.

    Extrait du recueil "La Multiple Splendeur" 1906 - Belge


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