• 021 - Pierre Quillard (1864-1912) - L'Ame Seule

    021 - Pierre Quillard (1864-1912) - L'Ame Seule

    La bienfaisante nuit couvre la ville immense
    D'où montaient des sanglots et des chants
    Et la grande cité semble un lac de silence
    Frôlé par la rumeur pacifique des champs.

    Mer des vivants, mer furieuse qui te rues
    Emportant dans tes plis les deuils et les baisers,
    Tu roules tout le jour sur le pavé des rues,
    Mais le soir calme endort tes râles apaisés ;

    Et les rêveurs amis des nécropoles saintes,
    Délivrés de la joie, affranchis du remords,
    Errent par les soirs clairs et fleuris d'hyacinthes
    Comme des immortels dans la maison des morts,

    Hommes, laissez passer dans la nuit solitaire
    Ceux qui foulent toujours des chemins non frayés
    Les exilés divins ont donc repeuplé la terre
    Et je me sens plus seul quand vous vous réveillez.

    Les démons ont pétri de leurs mains ironiques
    Vos faces de mensonge et de stupidité,
    Je ne sais, mais le mal suinte de vos tuniques
    Et votre rire impur attente à la beauté.

    Le matin revenu, soyez tels que vous êtes.
    Moi cuirassé d'orgueil et de mépris serein
    Entre mon coeur farouche et vos cris de bêtes
    Je laisserai tomber par terre une herse d'airain.

    Je m'en irai là-bas vers la forêt clémente :
    Les arbres fraternels m'appellent doucement ;
    L'herbe bruit, l'eau des fontaines se lamente
    Et rit comme une nymphe avec son jeune amant.

    La forêt a gardé pour mon oreille seule
    Les chants anciens et les fleurs nobles d'autrefois
    Parfument à jamais sa mémoire d'aïeule
    Et tous les rhythmes morts revivent dans sa voix.

    Les chênes musculeux portent de verts portiques,
    Où pareils à des rois mes rêves passeront
    Et près des dieux nouveaux, fils des taillis antiques,
    Je plierai les genoux et courberai le front.

    Mais retrouveras-tu la jeunesse première,
    0 parleur orgueilleux, ivre d'un vin mauvais ?
    Et si dans la splendeur de la pure lumière
    Ton rêve était moins beau que tu ne le rêvais ?

    Ainsi qu'un porteur las délivre ses épaulais
    Tu voudrais rejeter les souvenirs humains
    Et suivre le ruisseau qui court entre les saules
    Et marcher tout le jour au hasard des chemins.

    Va ! Tu n'entendrais plus les voix surnaturelles
    Qui t'invitent la nuit, vers les magiques bois ;
    Dans les halliers saignant de mûres et d'airelles
    Tu serais poursuivi par les mauvaises voix.

    Reste jusqu'à la mort baigné de crépuscule
    Car avec l'âpre regret des astres radieux ;
    Tu n'as pas la grandeur du manteau d'Hercule
    Et pour te revêtir de la pourpre des dieux.

    Extrait du recueil "La Lyre Héroïque Et Dolente" 1897


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