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017 - Albert Mérat (1840-1909) - Patineuses
017 - Albert Mérat (1840-1909) - Patineuses
Il gèle : il a neigé. Les arbres sont tout blancs.
Le soleil aux regards éloignés et tremblants
Passe à travers les grands massifs et les fait roses
Les patineurs épars se penchent dans des poses
Gracieuses, quand c'est le petit pied mutin
D'une femme qui chausse et lace le patin.
La glace, toute neuve, est de la nuit dernière.
On la tâte, on s'essaie, on part à sa manière,
Bien ou mal, et parfois les deux pieds en avant.
L'Anglais se reconnait à son style savant,
Le Polonais, le Russe aussi. Paris progresse,
Mais c'est plutôt du bel entrain et de l'adresse.
Que de hauts faits perdus, que de noms oubliés !
Mais les héros sont-ils pour jamais humiliés
Lorsque l'histoire peut compter les héroïnes !
La frileuse aux yeux bleus qui, comme les hermines,
Mourrait d'un peu de boue offensant sa fraîcheur,
Est brave si la ta tache est faite de blancheur.
L'oeil, troublé par le vol des jupes lumineuses,
Suit l'essaim tournoyant des belles patineuses,
Les mains dans le manchon, seules ou nous laissant
Prendre leur taille, ainsi que l'on fait en dansant.
Les roses d'un froid gai les colorent, parure
Du teint, et sur le cou frissonne la fourrure.
Des groupes reliés par une perche ont l'air
D'un ballet du Prophète. Avec un rire clair
Ils vont, et sur la glace unie et sans embûche
Se disjoignent ; le pied tourne à faux et trébuche ;
Le désordre se met dans les rangs ; un traineau
Passe ; la glace crie et le mouvant tableau
S'embellit de la courbe et de la grâce insigne
Du traineau dont l'avant semble le col d'un cygne.
Parfois l'aplomb peu sûr de deux bras élégants
Trace sur l'horizon des traits bien extravagants.Les étoiles d'argent dont la branche est fleurie
Tombent le long du bord sur ce bal de féerie,
Et, le soir, s'efforçant à des exploits plus beaux.
On se retrouvera pour la fête aux flambeaux.Extrait du recueil "Poèmes De Paris" 1880
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