• 015 - Jean Moréas (1856-1910) - Astre Brillant

    015 - Jean Moréas (1856-1910) - Astre Brillant

    Astre brillant, Phébé aux ailes étendues
    O Flamme de la nuit qui crois et diminues,
    Favorise la route et les sombres forêts
    Où mon ami errant porte mes pas discrets !
    Dans la grotte dont l'entrée est tout lierre,
    Sur la roche pointue aux chèvres familière,
    Sur le lac, sur l'étang, sur leurs tranquilles eaux,
    Sur leurs bords émaillés où plaignent les roseaux,
    Dans le cristal rompu des ruisselets obliques,
    Il aime à voir trembler tes feux mélancoliques.

    L'injustice, la mort ne dépitent les sages,
    Aux yeux de la raison le mal le plus amer
    N'est qu'une faible brise à travers les cordages
    De la nef balancée au beau milieu de la mer.
    Et mon ami sait bien que le vert ne couronne
    La ramée toujours, mais ni toujours l'automne ;
    Que c'est des jours heureux qu'il faut se souvenir,
    Que même le malheur, comme humain, doit mourir.
    Or le dessein plus fier, la plus docte pensée,
    A la quenouille où est la Parque embesognée
    Se prennent comme mouche aux toiles d'araignée !

    O hélas ! Qui pourra dire que les étés arides
    Ne viennent aux jardins sécher les fleurs rapides,
    Que le funeste hiver, son haleine poussant,
    Ne fasse du soleil un éclat languissant ;
    Que sous le tendre myrte à la rose mêlé
    L'agréable plaisir n'aille d'un pas ailé,
    Le temps aussi, d'un vol plus prompt encore,
    Sur nos têtes ne passe et ne les décolore !

    Phébé, ô Cynthia, dès sa saison première,
    Mon ami fut épris de ta belle lumière !
    Dans leur cercle observant tes visages divers,
    Sous ta douce influence il composait des vers.
    Par dessus Nise, Eryx, Seyre et la sablonneuse
    Iolcos, le Tmolus et la grande Epidaure,
    Et la verte Cydon, sa piété qui honore
    Ce rocher de Latmos où tu fus amoureuse.

    Puisque douleur le point et l'ennui de tristesse,
    Ne l'abandonne pas, toi sa chère déesse,
    Allège son souci, que dans son âme passe
    Cette éclatante paix qui règne sur ta face !
    Alors ses chalumeaux, en leurs rustiques sons,
    Hardis surmonteront les antiques chansons
    Des cithares et luths, des poètes et pères
    Qui les yeux ravissaient des monstres et cerbères ;
    Car de ton frère archer la prophétique rage
    Qui agite les branches du pénéan feuillage,
    Jamais enfant mortel ne la porta si forte
    Comme mon ami doux dedans son coeur la porte.

    Extrait du recueil "Sylves" 1896


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